Janvier 2023

Décarboner l’industrie du ciment

Production du ciment

Le béton est un matériau indispensable dans l’économie actuelle : en volumes, c’est la matière la plus utilisée dans le monde. L’enjeu est donc de taille car le ciment, son composant principal, génère 5 à 6% des émissions mondiales en gaz à effet de serre (GES). En 2021, la demande mondiale en ciment s’élevait à 4,3 milliards de tonnes, dont 55% étaient produites par la Chine. La production d’une tonne de ciment génère 0,6 tonnes de CO2. Cela s’explique par un processus de fabrication très énergivore, et très intense en termes d’émissions de GES :

  1. D’abord, l’extraction et le broyage de calcaire et d’argile pour obtenir une farine crue ;
  2. Celle-ci est ensuite préchauffée à 800°C, puis chauffée à 1450°C sous une flamme à 2000°C ;
  3. Le clinker est ensuite refroidi, puis mélangé à du gypse pour produire du ciment.

Les émissions de dioxyde de carbone sont relâchées lors de la cuisson et proviennent de deux sources :

  • Pour maintenir une flamme à 2000°C en continu, le combustible le plus utilisé est le charbon ; cette consommation d’énergie thermique représente 1/3 des émissions.
  • En chauffant la farine crue, faite de calcaire et d’argile, on obtient non seulement du clinker mais aussi du dioxyde de carbone (CO2), coproduit de la réaction ; cela représente 2/3 des émissions.

Cette industrie est très localisée, car les matières premières pour produire le ciment sont réparties de manière homogène sur les territoires, et souvent abondantes.

Leviers de décarbonation

Il est difficile de décarboner le processus de fabrication du ciment, car celui-ci est énergivore et requiert une alimentation continue, qu’il est très difficile d’électrifier.

L’agence de la transition écologique (ADEME) a proposé une trajectoire pour décarboner l’industrie cimentière française au moyen de 6 leviers de décarbonation. L’objectif est de respecter la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui s’aligne sur l’Accord de Paris d’ici 2050. Les simulations faites par l’ADEME montrent que l’industrie suit la trajectoire de l’accord de Paris jusqu’en 2040, après quoi un décrochage est observé dû au manque d’innovation technologique bas-carbone. Les émissions baisseraient de 54% si tous les leviers étaient mis en place, alors que la trajectoire de la SNBC requiert une diminution de 81% pour l’industrie. Cependant de nombreuses solutions existent déjà aujourd’hui en-dehors de l’innovation technologique pour diminuer les émissions de GES du secteur.

Voici les 6 leviers proposés par l’ADEME :

  1. Une baisse globale de la demande (-15% des émissions) sous un scénario de sobriété énergétique et de rénovation des bâtiments anciens ;
  2. Une meilleure efficacité énergétique (-2% des émissions) : rénover les cimenteries pour améliorer leur efficacité énergétique : d’après le rapport du Shift Project, il faudrait viser une consommation énergétique de 3300 MJ/tonne de clinker produit (l’Europe est en moyenne à 3600 MJ/tonne de clinker) ; la Chine, la Corée et le Japon sont les meilleurs élèves avec en moyenne 3100 MJ/tonne de clinker.
  3. Utiliser d’autres combustibles (-10% des émissions) que le charbon dans les tuyères, en intégrant une fraction de biomasse et de déchets (huiles, pneus, solvants) ; on parle d’amélioration du mix thermique ;
  4. Diminuer le taux de clinker dans le ciment (-15% des émissions) : si la proportion de clinker dans le ciment diminue, on s’affranchit du procédé le plus intense en GES. On peut remplacer le clinker par du laitier (sous-produit obtenu lorsqu’on fabrique de l’acier), des pouzzolanes ou du calcaire
  5. Innovations technologiques (-1% des émissions) pour le processus de fabrication, elles sont encore marginales et incertaines ;
  6. Installer des plateformes de capture et de stockage du carbone (-11% des émissions) ce qui permettrait d’enfouir le CO2 produit lors de la réaction. Les installations sont encore marginales et requièrent un investissement important pour être déployées.

En dehors des solutions technologiques (innovation et capture/stockage du carbone), les solutions sont déjà disponibles, sous réserve d’investissements importants pour aider la filière à se décarboner. Les avancées technologiques sont néanmoins indispensables pour permettre au secteur de s’aligner sur l’Accord de Paris à plus long terme.

 

Est-ce aux entreprises et à la finance de dire ce qui est bien et ce qui est mal ?

Curieuse question… dont certains diront que la réponse a été … « oui » depuis de (trop ?) nombreuses années ! Face aux enjeux climatiques, et notamment depuis la COP21, le fameux accord de Paris, les Etats se sont engagés à abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Comment ? Essentiellement en demandant aux entreprises de le faire à leur place. Et comment s’en assurer ? En faisant en sorte que « la finance » fasse le travail. Plutôt que d’imposer, l’idée a été de demander au capitalisme de s’organiser pour faire pression sur le système pour qu’il s’améliore. Les acteurs financiers, à la faveur d’une réglementation financière et bancaire en évolution, se sont mis en marche. La réglementation a d’abord demandé un suivi du sujet. Par exemple l’article 173 de la Loi sur la Transition Energétique de 2015 en France « invitait » les sociétés de gestion de portefeuille et certains investisseurs institutionnels à publier des informations sur les modalités de prise en compte des critères relatifs aux objectifs environnementaux, sociaux et de qualité de gouvernance (ESG) dans leurs politiques d’investissement et de gestion des risques. Puis la réglementation a « invité » à une vraie gestion du risque de durabilité des investissements, pour arriver par exemple à la réglementation SFDR sur la classification des fonds. L’article 9 de la réglementation SFDR demande ainsi aux sociétés de gestion d’investir dans des sociétés durables, cette caractéristique étant donnée par leur propre définition.

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