Février 2023

Un peu de maths pour rationnaliser le débat et réfléchir à des moyens d’actions efficaces contre le réchauffement climatique

 

Le suivi des débats et des médias sur la question du réchauffement climatique aboutit à un constat : les positions sont toujours plus radicalisées et il est difficile de s’écouter. La question centrale qui nous anime est de savoir comment agir efficacement, sans idéologie.

 

Parmi les manières d’aborder le sujet, il y a l’identité de Kaya (économiste japonais). Cette identité a été notamment utilisée par le GIEC dans son rapport d’évaluation en 2014. Attention, démonstration a priori implacable… et démoralisante ! Il est très facile d’en trouver des analyses sur internet. Par exemple : https://jancovici.com/changement-climatique/economie/quest-ce-que-lequation-de-kaya/

 

Il s’agit tout d’abord de poser une équation qui est mathématiquement évidente en faisant apparaître les composantes des émissions de CO2 : CO2 = (CO2/E) x (E/PIB) x (PIB/POP) x (POP). Tous les termes s’annulent (E signifiant Energie), on a bien CO2 = CO2.

 

Ce qui est intéressant, c’est que cette équation repose sur des facteurs significatifs et quantifiables :

  • CO2 : les émissions de CO2 dues aux activités humaines
  • CO2/E : l’intensité carbone de l’énergie, ie la quantité de CO2 émise pour produire une quantité d’énergie donnée (très élevée pour le charbon, très basse pour le nucléaire)
  • E/PIB : l’intensité énergétique du PIB, ie la quantité d’énergie utilisée pour produire une unité de PIB
  • PIB/POP : la richesse par habitant mesurée par le PIB
  • POP : la population mondiale

 

La conclusion est la suivante : il faudrait abaisser nos émissions de CO2 de l’ordre de 7% par an. Or la population mondiale est toujours en croissance… donc l’abaissement doit être de plus que de 7% par an… Or l’intensité carbone de l’énergie ne s’améliore tendanciellement que très modestement, 1-2% / an, et l’intensité énergétique du PIB pareil… Tous les efforts en énergies renouvelables sont louables, mais malheureusement très insuffisants. Dans le monde, la quantité de fossile, de charbon, ne baisse pas. Dans ces conditions, la seule variable qui semble à porter de la main est… la richesse par habitant. D’où la nécessité de la décroissance, de l’ordre de -4 à – 7% / an selon les estimations. C’est mathématique, on ne peut pas y couper. C’est démoralisant !

 

Ou pas !

 

Cédric Ringenbach, fondateur de La Fresque du Climat, résume en 4 minutes la Fresque du Climat (2h d’activité + 1h de débriefing si vous le faites vraiment pour comprendre la chaine de causalité du réchauffement climatique), présente l’identité de Kaya et propose de la « casser » par secteur pour faire apparaître d’autres termes, et d’autres moyens d’actions. https://www.youtube.com/watch?v=8KhME__n8mw. Cette vidéo de 25 minutes est très inspirante !

 

Je reprends son exemple, celui du secteur agricole. On remplace le CO2 par les Gaz à Effet de Serre, car en agriculture ce sont plutôt des gaz comme le méthane qui sont émis ; le terme E (énergie) est remplacé par les surfaces utilisées, exposées au soleil, et le PIB est remplacé par la production en KG (kilogrammes) de nourriture.

 

Cela donne : GES = (GES / SURFACES) x (SURFACES / KG) x (KG / POP) x POP

 

Deux ratios signifiants apparaissent :

  • SURFACES / KG : l’inverse des rendements agricoles
  • KG / POP : les besoins alimentaires

 

En réalité, les KG ne sont pas les mêmes. On a en effet du côté des rendements agricoles les KG produits, et du côté des besoins alimentaires les KG consommés. L’identité de Kaya est donc cassée. Comment la réparer ? En ajoutant un ratio manquant, et cela donne :

 

GES = (GES / SURFACES) x (SURFACES / KG produits) x (KG produits / KG consommés) x (KG consommés / POP) x POP

 

Et ce nouveau terme est également signifiant : KG produits / KG consommés = KG produits / (KG produits – pertes) = 1/(1-% pertes), ie le gâchis alimentaire.

 

L’identité de Kaya adaptée au secteur agricole devient donc :

 

GES = (GES / SURFACES) x (SURFACES / KG produits) x 1/(1-% pertes) x (KG consommés / POP) x POP

 

Or les pertes représentent 30% de la production agricole ! Si on arrivait à diviser par deux ce gâchis, on ferait donc un progrès massif rapidement de 15%, pas 1 à 2% comme indiqué pour l’intensité carbone de l’énergie.

 

Ce qui n’empêche pas de réfléchir aux progrès attendus dans les autres domaines, en diminuant les protéines animales vers les protéines végétales, en diminuant notamment notre quantité de viande rouge. Pourquoi est-ce efficace ? Pour deux raisons principales. Tout d’abord parce que les bovins rejettent (par la bouche ????) du méthane, dont la demi-vie est de 10 ans (après 50% n’est plus dans l’atmosphère), vs des centaines voire des milliers d’années pour le CO2. L’effet est donc relativement rapide. Par ailleurs, nourrir du bétail conduit à des déforestations massives transformées en champs de soja et maïs, c’est ce qui se passe au Brésil par exemple. Au total, à l’échelle de la planète, les bovins représenteraient 15% des gaz à effet de serre (GES). Baisser notre consommation de viande à l’échelle de la planète peut donc faire baisser les émissions de GES de ce secteur de 2 fois (type « flexitarien ») à 10 fois pour un régime végétalien.

 

J’entends d’ici les amateurs de côtes de bœuf râler ! Mais nous serons tous d’accord sur la lutte contre le gâchis alimentaire. Traitons donc ce sujet rapidement sans oublier que le problème des Gaz à Effet de Serre est un problème de stock (capacité maximale de l’atmosphère en CO2, image de la baignoire bientôt pleine) et non de flux. Diminuer maintenant de 15% est donc bien plus efficace que de diminuer de 15% sur 15 ans.

 

La vidéo propose des démonstrations similaires pour le transport et le logement.

 

Cette identité de Kaya est donc un outil très utile pour réfléchir à la décarbonation de toute activité. Cela peut même avoir un côté ludique ! Et cela peut être très efficace. A vos crayons !

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