Novembre 2023

Les scénarios bas-carbone et l’alignement des portefeuilles !

Les scénarios climatiques, notamment développés via les travaux du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), ont pris de l’importance dans la sphère financière et industrielle à la suite de l’Accord de Paris. Le choix d’un scénario est essentiel car il a des répercussions sur la construction de portefeuille, les poids sectoriels, les attentes qu’un investisseur aura de la part des entreprises sur de nombreux paramètres ESG, à commencer naturellement par l’ampleur et la vitesse de décarbonation de son activité.

Pourtant, les concepts de scénario et d’alignement d’une entreprise à ce dernier sont parfois flous. Nous vous proposons une revue des grands principes d'établissement de ces scénarios, de leurs auteurs, avant de résumer les 4 scénarios proposés par l’ADEME.

Grands principes

Le GIEC définit un scénario comme une “description vraisemblable de l’avenir, fondée sur un ensemble cohérent et intrinsèquement homogène d’hypothèses concernant les principales forces motrices (rythme de l’évolution technologique, prix, etc.) et les relations en jeu”. Un scénario n’est pas une prédiction de l’avenir, mais un futur vraisemblable. Une institution s’aligne alors sur un scénario en mettant en place un processus pour respecter les hypothèses qui définissent ce scénario. En pratique, il est évident qu’un individu, une entreprise, un pays, un investisseur vont agir en pratique en mixant les différents scénarios. Encore une fois, un scénario est une manière cohérente d’appréhender l’avenir et de s’y projeter. C’est une simplification de la réalité qui aide à la décision.

Si la complexité des scénarios est variable, on retrouve des éléments communs :

  • La temporalité est le premier élément commun à tous les scénarios : il est nécessaire de déterminer une date de début et une date de fin.
  • En général, un scénario climatique a pour objectif de déterminer une trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre. Il est alors possible d’y associer des émissions cumulées sur la période retenue et une température de réchauffement à une date précise.
  • Afin de déterminer les trajectoires d’émissions, il est nécessaire d’émettre des hypothèses socio-économiques : évolution démographique, perspectives économiques, progrès technologique et développement des technologies bas-carbone, situation géopolitique internationale.
  • Par ailleurs, il est nécessaire de modéliser le système climatique dans son ensemble.

La complexité d’un scénario relève notamment du nombre de paramètres socio-économiques utilisés, à la modélisation du système climatique et aux relations entre ces deux éléments.

Auteurs de référence

Le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie et l’ADEME (Agence de la Transition Ecologique en France) par exemple ont développé des scénarios à l’échelle globale ou à l’échelle française.

Les scénarios socio-économiques développés par le GIEC, appelés Shared Socio-economic Pathways (SSP) apportent une approche très intéressante sur l’évolution du monde et les conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre et leur atténuation. Vous pouvez les retrouver à cette adresse : Explainer: How ‘Shared Socioeconomic Pathways’ explore future climate change - Carbon Brief.

Parmi les variables d’observation qui peuvent être intéressantes pour un investisseur, on retrouve :

  • Les trajectoires d’émissions, compatibles ou non avec l’Accord de Paris ;
  • L’évolution de la production d’énergie primaire par source d’énergie et son prix ;
  • La répartition des émissions de gaz à effet de serre dans les différentes industries ;
  • L’évolution du prix de la tonne de carbone ;
  • L’orientation des investissements nécessaires pour s’aligner sur un scénario.

 Bien souvent, on distingue les scénarios bas-carbone, avec une trajectoire compatible à l’Accord de Paris, des scénarios de base, qui sont la description future des politiques actuelles si elles étaient inchangées.

Il est dans ce cas possible de déterminer les efforts à fournir et les objectifs à fixer pour s’aligner sur un scénario bas-carbone, ce qu’illustrent les travaux de l’ADEME.

Scénarios de l’ADEME

L’ADEME a établi quatre scénarios compatibles avec un réchauffement en-dessous de 2°C d’ici la fin du siècle (compatible donc avec l’Accord de Paris) : « Génération frugale », « Coopérations territoriales », « Technologies vertes » et « Pari réparateur ».  Les quatre scénarios ont en commun la même démographie et la même croissance de long terme, même si c’est avec des transferts et des contenus finaux très différents. Chaque scénario aboutit en 2050 à la neutralité carbone, ou mieux pour les premiers.  Vous pouvez les retrouver ici : transitions2050-synthese.pdf (ademe.fr) .

Qu’ont-ils en commun ? La protection, à tout prix, des écosystèmes, l’adaptation des procédés agricoles, l’extension et la protection de la forêt, le recours à la biomasse. Par ailleurs, la nécessité d’agir très rapidement en raison de l’ampleur des mutations à établir, avec par exemple 3 TWh/an d’augmentation des capacités de biométhane, soit 150 unités annuelles à installer !

Scénario 1 : « Génération frugale »

Ce scénario nous dessine un changement radical des usages et comportements, dans les façons de se déplacer, se chauffer, s’alimenter, acheter et utiliser des équipements. C’est un monde contraint et régulé vers le bas carbone que dépeint ce scénario, en habitat, en déplacement, en alimentation, et dont l’acceptation sociale n’est pas assurée.

On attend une réduction, volontaire ou non, de la demande en énergie, matières et ressources : évolution de l’assiette, limites de la vitesse et des vols intérieurs, emploi des bâtiments vacants et des résidences secondaires, … Les dimensions internationales se réduisent, dans un monde où le local et durable, par opposition au global et consommable, est privilégié. On réussira à presque tripler les puits naturels de carbone de 44 à 116 MtCO2/an.

 

Scénario 2 : « Coopérations territoriales »

Le deuxième scénario voit la transition se développer comme un effort collectif, coopératif, dans le cadre d’une gouvernance partagée et de coopérations territoriales. ONG, institutions publiques, secteur privé et société civile trouvent des voies de coopération.

Une évolution progressive, durable, sobre et efficace. La consommation et les comportements deviennent responsables, en rupture avec l’histoire récente. Le territoire national est préservé, la captation carbone et la protection de la biodiversité intégrées à tous les niveaux. Nos « barrières carbone » aux frontières protègent nos pays fournisseurs, dans des échanges internationaux réduits.

Des investissements massifs nécessaires sont fléchés par des incitations financières. La mobilité se réduit en volume de 8%, le transport de marchandise de 35% et ses émissions de GES baissent de 95%. Le taux de matières premières recyclées s’élève à 80%. On est dans un monde de réduction de la demande physique, de cycle court, de recyclage et de réindustrialisation. L’hydrogène occupe une place majeure dans la chaine énergétique. Le captage est marginal et les puits naturels sont plus que doublés à 93 MtCO2/an.

 

Scénario 3 : « Technologies vertes »

 

Ce scénario valorise la technologie plutôt que les changements de comportement. L’industrie produit un peu moins en volume mais sa décarbonation est une valeur ajoutée. Les services numériques augmentent.

Les meilleures technologies sont déployées et largement et accessibles aux populations solvables. Ceci crée le risque d’économies d’énergie insuffisantes et d’exclusion des plus pauvres. La règlementation reste donc nécessaire pour contrecarrer ces effets rebonds et l’État reste planificateur, dans un contexte de concurrence internationale et d’échanges mondialisés.

La production de biomasse, notamment forestière, à hauteur de près de 100 TWh est une clef de réussite du scénario. On donne une valeur marchande au capital naturel et on trouve les solutions techniques pour le protéger.

La rénovation/reconstruction du parc immobilier est d’abord très consommatrice en ressources. Sans réelle pression à la baisse en volume, l’accélération technique des mobilités décarbonées permet 94% de réduction des émissions. Le commerce intra-européen se substitue partiellement à la mondialisation. Le stockage ce CO2 complète l’électrification de l’industrie et permet 30% d’économies d’énergie et 86% de réduction des émissions. L’hydrogène y compris importé, via infrastructures de transport, tient une place importante dans les usages industriels, comparable à la biomasse.

Scénario 4 : « Pari réparateur »

Ce dernier scénario s’appuie massivement sur la technologie pour maintenir nos modes de vie, nos équipements domestiques et domotiques. Alimentation et déplacements ne sont pas affectés. A la clef, le maintien d’une forte consommation d’énergie et des progrès économiques et technologiques en contrepartie desquels il faut traiter des enjeux écologiques globaux.

La société place sa confiance dans la capacité à réparer, les systèmes sociaux et écologiques avec des ressources matérielles et financières, pour conserver un monde à l’identique. Les enjeux écologiques sont traités avec des techniques de pointe, parfois coûteuses, dans le bâtiment, les mobilités, la captation du carbone industriel, le recyclage. L’aide est la solution proposée aux pays les plus en difficulté. Les circuits courts ne sont pas valorisés. La valorisation extrême de la biomasse impose la captation du CO2 émis.

Ce scénario se plie à deux tendances fortes : l’émergence d’une classe moyenne mondiale consommatrice et une révolution numérique grande consommatrice d’énergie.

Ses résultats sont les plus modestes avec une neutralité à peine atteinte (135 MtCO2eq émis, 41 MtCO2eq de puits naturels et 93 MtCO2eq de captation) et il est basé sur des techniques peu matures, peut-être illusoires à l’échelle industrielle.

 

 

 

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