
Avril 2025

le retour de l’effet rebond ?
Commentant le dernier rapport de l’Agence Internationale de l’Energie dans Le Monde, Philippe Escande écrivait il y a quelques jours : « Plus on électrifie le monde pour lutter contre le réchauffement climatique, plus on crée de nouveaux usages qui accroissent la consommation d’énergie ». Et de rappeler « l’effet rebond », susceptible d’annihiler les effets positifs des progrès techniques qui visent à abaisser les émissions de gaz à effet de serre. Voire de rendre ces innovations contre-productives !
L’effet rebond est une notion économique appliqué notamment à la consommation d’énergie. Il caractérise un paradoxe : les économies réalisées à la faveur des progrès en matière d’efficacité énergétique n’entrainent pas une moindre consommation d’énergie, mais bien une augmentation de l’utilisation de ces technologies et donc de l’énergie qu’elles consomment ! Au XIXe siècle, l’économiste W. S. Jevons montre ainsi que la nouvelle machine à vapeur, beaucoup plus économe en charbon, a conduit à la construction de machines de plus en plus puissantes, nombreuses, et in fine à une augmentation de la consommation de charbon. En bref, plus on développe des machines économes en charbon, plus on consomme de charbon ! C’est l’une des raisons essentielles pour laquelle nombre d’écologistes ne croient pas que les progrès techniques pourront répondre aux défis du réchauffement climatique.
Le rapport de l’Agence Internationale de l’Energie analyse les évolutions de la production et de la consommation d’énergie en 2024 dans le monde. Nous en résumons quelques points saillants.
La demande mondiale d’énergie a cru à un rythme très soutenu en 2024 : +2,2% (+1,3% en moyenne de 2013 à 2023), le PIB mondial ayant cru davantage, de +3,2%
- Analyse par type de pays : les pays émergents représentent 80% de l’augmentation de la demande d’énergie malgré le ralentissement chinois ; après des années de baisse, les économies avancées ont cru également, de +1%.
- Analyse par type d’énergie : croissance rapide de l’électricité de +4,3%, près du double de la dernière décennie, et 80 % de cette augmentation a été assurée par les sources renouvelables et le nucléaire, qui ont contribué ensemble à 40 % de la production totale pour la première fois. En raison de la hausse de la consommation d'électricité, le gaz naturel a connu la plus forte augmentation de la demande parmi les combustibles fossiles en 2024. La croissance de la demande mondiale de charbon a été de +1 % en 2024, soit la moitié du taux d'augmentation observé l'année précédente. Les vagues de chaleur intenses en Chine et en Inde ont fait grimper les besoins de climatisation et ont contribué à plus de 90 % de l'augmentation annuelle totale de la consommation de charbon dans le monde ! La croissance de la demande de pétrole a été plus lente, +0,8 % en 2024. Les ventes de voitures électriques ont augmenté de plus de 25 %, les modèles électriques représentant une voiture sur cinq vendues dans le monde. Cela a considérablement contribué à la baisse de la demande de pétrole pour le transport routier, qui a compensé une part importante de l'augmentation de la consommation de pétrole pour l'aviation et la pétrochimie.
- L’agence note un certain découplage entre croissance de la demande d’énergie et croissance économique. Le déploiement de l'énergie solaire photovoltaïque, de l'énergie éolienne, de l'énergie nucléaire, des voitures électriques et des pompes à chaleur depuis 2019 permet désormais d'éviter 2,6 milliards de tonnes de CO2 par an, soit l'équivalent de 7 % des émissions mondiales. Les émissions de CO2 dans les économies avancées ont diminué de 1,1 % pour atteindre 10,9 milliards de tonnes en 2024 - un niveau observé pour la dernière fois il y a 50 ans, alors que le PIB cumulé de ces pays est aujourd'hui trois fois plus important.
Malgré ces tendances positives en termes de proportion dans le mix énergétique, au total, la consommation de pétrole, de gaz et de charbon a donc quand même augmenté en valeur absolue. Et ce n’est pas en abaissant la proportion d’énergies fossiles dans le mixte que les émissions de CO2 vont baisser, mais en abaissant leur consommation en valeur absolue. Ainsi, le rapport de l’AIE rappelle que les émissions de CO2 augmentent moins vite, mais augmentent toujours pour atteindre 37,8 Gt de CO2 en 2024.
La forte hausse de la demande d’énergie et notamment d’électricité illustre-t-elle l’effet-rebond ? Pas si simple. Cette hausse est en effet due à une multitude de facteurs :
- à l’électrification de l’économie : le nombre de voitures électriques augmente, mais augmente-t-il plus vite parce qu’elles sont électriques ? Pas évident. Mêmes questions pour la transition des industries ;
- à la croissance des centres de données et de l’intelligence artificielle, complètement indépendante des progrès technologiques en matières bas carbone ;
à la forte hausse de l’utilisation de la climatisation, conséquence directe des températures très élevées en 2024.
En résumé, il n’est pas sûr que le rapport de l’AIE illustre avant tout l’impact de l’effet rebond. Pour autant, il pourrait un jour se manifester si une technologie bas carbone conduisait à faire baisser la garde au plus grand nombre. Et le succès de l’électrification de l’économie, même en faisant l’hypothèse optimiste d’une nette baisse des énergies fossiles, risque toujours de conduire à des utilisations excessives des ressources sujettes aux limites planétaires, à commencer par l’eau.
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