Décembre 2022
"100 000 manifestants selon les organisateurs, 10 000 selon la police !"
Pour les émissions de Gaz à Effets de Serre, c’est l’inverse. Prenons l’exemple de TotalEnergies, attaquée par Greenpeace dans un long rapport début novembre (1), auquel l’entreprise répond fermement (2). Emissions « totales » (scopes 1, 2 et 3) du groupe de 469 millions de tonnes CO2eq selon TotalEnergies, 1 638 millions selon Greenpeace, soit 3,5x plus, c’est un peu plus que l’épaisseur du trait !
De quoi parlons-nous ?
Un rappel pour commencer : les énergies fossiles sont la source essentielle des émissions de dioxyde de carbone, CO2 dans le monde. Les émissions totales de Gaz à Effet de Serre (GES) mondiales en 2019 ont été estimées à 48,1 milliards de tonnes de CO2eq (3). A ce rythme, le budget restant de GES qu’on peut encore laisser dans l’atmosphère, sans dépasser un réchauffement de 1,5°C, serait épuisé en 9 ans.
Pour identifier les émissions de CO2eq dont une entreprise est responsable, on distingue ensuite les scopes 1, 2 et 3 : le 1 et le 2 étant directement liés à l’activité de production de l’entreprise, le 3 comprend notamment les émissions liées à l’utilisation des produits vendus par l’entreprise. Pour un groupe pétrolier, le scope 3 constitue la plus grande partie de ses émissions (83% pour TotalEnergies selon l’agence Trucost).
Une question importante se pose donc pour analyser les émissions d’un groupe pétrolier : qui est responsable de quoi ? Par exemple : un individu fait un trajet de 500 km en voiture à essence. Est-il le responsable des émissions de GES de ce trajet ? Est-ce le constructeur de voiture ? Est-ce la station-service qui lui vend son essence ? Celle qui a extrait et raffiné le pétrole ? Un peu tout le monde évidemment. Mais si on attribue les kilos de CO2eq de ce trajet de 500 km à tous ces acteurs, cela conduit à comptabiliser plusieurs fois les mêmes émissions. On se rend vite compte qu’avec cette approche une estimation précise du scope 3 aval des compagnies pétrolières, peut devenir difficile.
Dans ce contexte, pour savoir où serait la mauvaise foi ou l’erreur de calcul des uns ou des autres, nous avons essayé de nous simplifier la vie pour avoir des ordres de grandeur sur le sujet.
Les facteurs d’émission du pétrole et du gaz sont bien connus de la science et nous nous sommes appuyés sur les chiffres publiés par l’ADEME(4), l’agence de la transition écologique française.
Ces émissions peuvent être mesurées pour des quantités de chaque combustible, elles-mêmes exprimées en équivalence d’énergie fournie par un baril de pétrole (le BOE : barrel oil equivalent). Elles comprennent extraction, raffinage et combustion du carburant. Elles sont de 167 tonnes de CO2e par BOE/jour, pour le gaz et de 177 tonnes pour le pétrole. Pour illustrer ces ordres de grandeur, ils aboutissent à 485 kg de CO2e par Baril de pétrole (de 157,5 litres environ), soit 3 kg par litre de pétrole. Dans nos voitures thermiques, chaque litre d’essence (qui est un distillat plus léger) émet 2,4 kg de CO2e.
En 2019, TotalEnergies, en énergies fossiles, a produit 1.4 M BOE/j de pétrole et 1,6M BOE/j de gaz. Selon les facteurs d’émission ci-dessus, cela aboutit à respectivement 248 MT CO2e et 267 MT CO2e soit au total 515 MT CO2e.
Cet ordre de grandeur est beaucoup plus proche du chiffre de TotalEnergies que de celui de Greenpeace. Cherchez l’erreur ?
En faisant l’effort de remonter le détail de la chaine de valeur de TotalEnergies, en comptant précisément chaque baril vendu, chaque litre d’essence, de fioul, …, Greenpeace peut avoir affecté à TotalEnergies à la fois la combustion du pétrole brut qu’elle vend à une raffinerie de Shell et celle des distillats qu’elle produit dans une de ses raffineries, qui se fournit chez Shell en pétrole brut.
Si c’est le cas, le double compte a un bon dos pour porter des accusations qui semblent clairement erronées.
Pour autant, cela ne veut pas dire que TotalEnergies fasse tout ce qu’il faut pour le climat.
TotalEnergies infléchit son business model pour accompagner la transition énergétique, elle est totalement sortie du charbon depuis 2016. Et l’entreprise a raison de dire que la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie et les grèves des raffineries en France nous rappellent que nous sommes encore loin d’être prêts à nous passer des énergies fossiles. Pour autant, nous devons envisager dès aujourd'hui une voie pour sortir petit à petit des fossiles. Ainsi, dans les portefeuilles financiers, dans un cadre dit net zéro (cf rubrique « Pour aller plus loin »), il faudra bel et bien sortir les investissements du secteur au cours du temps.
Au sein des pétrolières, le rôle de TotalEnergies est de montrer l’exemple dans la décarbonation de l’énergie partout où elle le peut : en augmentant ses dépenses d’investissement (18Mds USD) dans les énergies renouvelables de 25 à 33% à l’horizon 2030, en développant une puissance de génération d’électricité de 100 GW d’énergies renouvelables au même horizon (EDF visant 60 GW en 2030, hors nucléaire évidemment). Le monde tourne encore à 80%+ en énergies fossiles : le pétrole représentait 66% de la production énergétique de TotalEnergies en 2015 : l’objectif est à 30% en 2030 (quand le Gaz progressera de 33% à 50%) et de parvenir à 5% en électricité : cela illustre une transition réelle. On peut estimer que le chemin n’est pas assez rapide, pas que le choix de la transition n’a pas été fait.
Au sein des pétrolières, TotalEnergies met beaucoup de choses en place. La question importante est de savoir si TotalEnergies doit simplement suivre le rythme général, ou être davantage pro-actif avec ses principaux clients, les pouvoirs publics, la population, pour l’accélérer. Pour se faire, il faudrait instaurer un climat de confiance entre les parties prenantes… d’où l’impératif de parler de la même chose, que les débats de chiffres décrivent la même réalité. Nous avons besoin d’entreprises et d’ONG responsables et impliquées dans la transition climatique et qui s’impliquent ensemble dans un débat sociétal constructif.
Pour contribuer au débat, nous renvoyons aux travaux d’un laboratoire d’analyse académique indépendant, le Transition Pathway Initiative (TPI). Le TPI, localisé à la London School of Economics, a pour objectif d’évaluer la gouvernance des grandes entreprises sur leur politique climat et d’évaluer leur performance en termes d’émissions carbone. La recherche se concentre sur les secteurs les plus polluants et les entreprises de chaque secteur sont classées selon :
- Le niveau d’intégration des risques climatiques dans leur stratégie
- Leur performance en émissions carbone selon une métrique spécifique au secteur : gramme de CO2 par kilomètre pour le secteur automobile, gramme de CO2 par mégajoule d’énergie produite pour le secteur pétrolier…
- La performance en termes d’émissions carbone fait également l’objet d’un processus d’alignement par rapport à différents scénarios de réchauffement (respect de l’Accord de Paris, respect des engagements nationaux).
L’approche des chercheurs du TPI sur le secteur pétrolier est donc de calculer un ratio essentiel pour discriminer les sociétés entre elles : la quantité de CO2eq émis pour une quantité d’énergie produite, une forme d’efficience énergétique d’un point de vue sociétal.
Avec cette approche, au sein des pétrolières, trois groupes apparaissent :
- Les entreprises pétrolières qui ne se préoccupent pas du tout du climat : notamment dans les pays émergents ou en Amérique.
- Des entreprises en retard et peu ambitieuses.
- Les « meilleurs de la classe », même si la classe n’est pas excellente, quelques entreprises pétrolières européennes, dont TotalEnergies, Shell et BP, qui sont assez proches aujourd’hui ainsi que dans leurs ambitions. Elles sont beaucoup plus ambitieuses que les catégories 1 et 2. Leur transition est enclenchée. TotalEnergies a démarré un peu avant BP ou Shell, et va un peu plus lentement ces dernières années. Les trajectoires sont comparables jusqu’en 2030, celle de TotalEnergies n’est pas encore suffisamment définie entre 2030 et 2050.
Au nom de l’efficacité, ne faut-il pas consacrer ses moyens à faire davantage pression sur les entreprises des deux premières catégories pour qu’elles envisagent enfin d’infléchir leur trajectoire, et évoluer de la phase activisme au dialogue ferme mais constructif avec celles de la 3ème catégorie maintenant que ces sociétés ont changé de cap et ont commencé à jouer le jeu de la transition ?
Sources :
(1) Greenpeace : bilan carbone de TotalEnergies : le compte n’y est pas.
(2) Communiqué de presse de TotalEnergies : TotalEnergies’ response to the Greenpeace report
(3) Gouvernement du Canada.
(4) https://bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_EN/index.htm?new_liquides.htm
Voir d’autres rubriques
Février 2023
Un peu de maths pour rationnaliser le débat et réfléchir à des moyens d’actions efficaces contre le réchauffement climatique
Le suivi des débats et des médias sur la question du réchauffement climatique aboutit à un constat : les positions sont toujours plus radicalisées et il est difficile de s’écouter. La question centrale qui nous anime est de savoir comment agir efficacement, sans idéologie.
En savoir +Janvier 2023
Est-ce aux entreprises et à la finance de dire ce qui est bien et ce qui est mal ?
Curieuse question… dont certains diront que la réponse a été … « oui » depuis de (trop ?) nombreuses années ! Face aux enjeux climatiques, et notamment depuis la COP21, le fameux accord de Paris, les Etats se sont engagés à abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Comment ? Essentiellement en demandant aux entreprises de le faire à leur place. Et comment s’en assurer ? En faisant en sorte que « la finance » fasse le travail. Plutôt que d’imposer, l’idée a été de demander au capitalisme de s’organiser pour faire pression sur le système pour qu’il s’améliore. Les acteurs financiers, à la faveur d’une réglementation financière et bancaire en évolution, se sont mis en marche. La réglementation a d’abord demandé un suivi du sujet. Par exemple l’article 173 de la Loi sur la Transition Energétique de 2015 en France « invitait » les sociétés de gestion de portefeuille et certains investisseurs institutionnels à publier des informations sur les modalités de prise en compte des critères relatifs aux objectifs environnementaux, sociaux et de qualité de gouvernance (ESG) dans leurs politiques d’investissement et de gestion des risques. Puis la réglementation a « invité » à une vraie gestion du risque de durabilité des investissements, pour arriver par exemple à la réglementation SFDR sur la classification des fonds. L’article 9 de la réglementation SFDR demande ainsi aux sociétés de gestion d’investir dans des sociétés durables, cette caractéristique étant donnée par leur propre définition.
En savoir +Novembre 2022
Energies renouvelables ou nucléaire ?
Entre passionnés et pourfendeurs des éoliennes et du nucléaire, cette question agite les passions. Le rapport de RTE, gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité français publié l’an dernier, apporte des éléments de réflexion et de quantification sur ce sujet. Il a été construit avec une multitude de parties prenantes : laboratoires de recherche, universités, entreprises, industries, associations pronucléaires et anti-nucléaires. C’est un rapport sérieux et qui fait référence.
En savoir +