Décembre 2024
Les perspectives de l’hydrogène
Présenté comme une solution de taille pour la transition bas-carbone, complémentaire au problème d’intermittence des énergies renouvelables les plus développées (éolien, solaire), facilitant (en théorie) la transition de secteurs difficiles à décarboner, comme l’aviation ou le transport routier de marchandises, le marché de l’hydrogène vert fait pourtant l’objet d’une certaine méfiance de la part des politiques et des investisseurs : coûts de production trop élevés, ambitions déraisonnables et récemment décriées par la Cour des comptes européenne, investissements lilliputiens au regard des objectifs… Quel est l’avenir de l’hydrogène vert ?
Il y a plusieurs moyens de produire de l’hydrogène :
- Hydrogène gris : il s’agit d’un co-produit de réaction du vaporeformage du méthane, ce procédé est très émetteur de gaz à effet de serre, car l’autre co-produit de réaction est… le dioxyde de carbone (CO2). L’écrasante majorité de la production mondiale (98%) vient aujourd’hui de ce procédé. Hydrogène vert : l’hydrogène est produit par électrolyse de l’eau, il s’agit d’un procédé très énergivore : l’électrolyse elle-même requiert une quantité importante d’énergie, et les déperditions sont importantes. L’hydrogène vert représente aujourd’hui 2% de la production mondiale. Hydrogène bleu : il s’agit du même procédé que pour l’hydrogène gris en y ajoutant des techniques de captage et de stockage du CO2. La production est aujourd’hui négligeable. Hydrogène blanc : il existe des réserves naturelles d’hydrogène dans le sol, notamment en France (à Folschviller en Lorraine). Hydrogène jaune : le procédé est à l’étude, l’hydrogène serait produit grâce à des réacteurs nucléaires de 4ème génération (VHTR) ; la technologie n’est cependant pas encore exploitable à l’échelle industrielle. Hydrogène orange : ce procédé est le moins développé, il est encore à un stade précoce de développement : en injectant de l’eau enrichie en dioxyde de carbone dans un sol riche en oxydes de fer, le CO2 précipite et l’eau s’enrichit en dihydrogène (H2) qui peut être extrait. Le processus industriel n’est pas encore développé.
- En 2023, la production mondiale d’hydrogène s’élevait à 97 Mt. Moins d’un million de tonnes était produit par électrolyse, un chiffre qui s’explique par la différence majeure de coûts de production entre les différents procédés. Le graphique ci-dessous, construit avec la base de données de l’Agence Internationale de l’Energie, montre ces disparités :
Les coûts de production de l’hydrogène vert sont actuellement beaucoup plus élevés que ceux de l’hydrogène gris : il est deux à trois fois plus coûteux de procéder par électrolyse que par reformage du méthane. La demande pour l’hydrogène vert reste donc très faible (2,5 millions de tonnes en 2030 et 9 millions en 2040 en Europe selon une étude du CEA), ce qui explique l’inertie actuelle du marché et le retard pris par rapport aux ambitions affichées. La Cour des comptes européenne a récemment critiqué les projections qui avaient été faites, probablement poussées par des groupes de soutien au développement de l’hydrogène auprès de la Commission européenne : le plan RepowerEU fixait en effet un objectif de consommation de 20 millions de tonnes par an d’hydrogène renouvelable au niveau européen à l’horizon 2030, ce qui impliquait un financement européen d’environ 18,8 milliards d’euros entre 2021 et 2027 provenant de multiples sources.
L’hydrogène offre pourtant de multiples opportunités d’usage : s’il est actuellement utilisé dans les raffineries pétrolières et pour la production d’ammoniac à grande échelle, il pourrait servir de solution aux problèmes d’intermittence des autres énergies renouvelables car il est lui-même un vecteur capable de stocker de l’énergie. L’hydrogène vert est également une solution de décarbonation pour la production de méthanol et d’acier, même si le nombre de projets en développement reste très faible à l’heure actuelle. Il est également utile dans le développement d’un réseau de transport routier bas-carbone, notamment pour les poids lourds pour lesquels les piles à combustible sont une solution de remplacement des moteurs thermiques. L’usine Symbio en France (fruit d’une joint-venture entre Michelin et Faurecia) produit d’ailleurs des piles destinées à l’usage des véhicules utilitaires.
Les perspectives de l’hydrogène sont, à l’heure actuelle, encore floues. Les coûts de production devraient, selon le scénario APS1 de l’Agence Internationale de l’Energie, baisser pour l’hydrogène vert à l’horizon 2030, ce qui lui permettrait de devenir compétitif et d’augmenter la demande. Celle-ci sera également largement influencée par les choix politiques établis par les pays en matière de politique énergétique. Le soutien des politiques publiques à la filière est en effet essentiel pour soutenir la demande et créer des capacités de production. L’Allemagne mise énormément sur le développement de l’hydrogène (au détriment du nucléaire) et a récemment lancé la construction d’un réseau d’approvisionnement en H2 de 9000 km destiné aux sites industriels, avec un coût total estimé à 18,7 milliards d’euros. La Chine, qui jusqu’ici avait mis du temps à développer un plan de croissance pour la filière hydrogène, a annoncé en 2022 des objectifs de déploiement de la production (qui serait doublée d’ici 2025) et de la fabrication de piles à combustibles pour les véhicules, notamment les poids lourds. Par ailleurs la Chine possède actuellement 35% des capacités mondiales de production d’électrolyseurs. Si les ambitions pour la filière de l’hydrogène étaient très élevées il y a quelques années, le retard pris par le secteur les rend aujourd’hui irréalisables. La mauvaise estimation des coûts de production a entraîné une faiblesse dans la demande de la part des industriels. Par ailleurs, en Europe notamment, le regain d’intérêt pour la filière du nucléaire (notamment les SMR) a mis à mal les projets de production massive d’hydrogène à usage industriel. Le soutien des politiques publiques semble donc essentiel pour accélérer la demande dans des filières comme le transport ou la production d’électricité. La filière de l’hydrogène reste une solution bas-carbone parmi d’autres, utile pour décarboner certains secteurs comme le transport routier ou fournir des solutions de stockage de l’énergie, mais qui fait face à une concurrence de plus en plus rude : d’autres filières bas-carbone sont aujourd’hui à des stades de développement plus avancés.
Ressources :
Production d'hydrogène : procédés, avantages / inconvénients
Feu vert aux «autoroutes de l'hydrogène» en Allemagne | Les Echos
Levelised cost of hydrogen via selected technologies in Northwest Europe in the Announced Pledges Scenario, 2023-2030 –?Charts – Data & Statistics - IEA
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