Juillet 2024
CCS / CCUS et CDR, de quoi s’agit-il et quelle est la portée de ces solutions ?
Nous profitons à nouveau de l’étude de CIC Markets Solutions citée en édito, nos remerciements renouvelés aux auteurs !, pour revenir sur les solutions technologiques de décarbonation dans le secteur du pétrole et du gaz. Elles sont de trois types : les biocarburants (produits à partir d’une biomasse et incorporés à des carburants fossiles), les e-fuels (produits à partir d’électricité bas carbone et de CO2 capté sur des sites industriels ou dans l’atmosphère) et le captage / l’élimination de CO2.
Avant d’entrer dans la description des techniques de captage et d’élimination du CO2, rappelons qu’elles ne visent pas à permettre de poursuivre l’utilisation des énergies fossiles comme si de rien n’était, mais à atténuer les émissions résiduelles. Donc, oui, elles font partie de la transition et sont, à ce titre, citées dans les scénarios visant à la neutralité carbone, mais, non, ce ne sont pas des solutions miracles permettant de ne faire aucun effort par ailleurs.
Pour les plus motivés, nous remettons également un lien vers une vidéo un peu ancienne mais passionnante sur le sujet de la capture du carbone : https://lereveilleur.com/csc-reduction-des-emissions/ .
Par ailleurs, des recherches prometteuses sont en cours sur les différentes technologies de capture du carbone et qui sont susceptibles d’en améliorer l’efficacité et d’en abaisser les coûts : https://www.nature.com/articles/s41560-024-01556-0.
CCS (Carbon Capture and Storage) /CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage)
- Description du processus : capture du CO2 à la source, compression, transport puis stockage dans une installation spécialisée et injection dans des formations géologiques profondes. Il ne s’agit donc pas de retirer des gaz à effet de serre (GES) de l’atmosphère, mais de capter des émissions nouvelles.
- Limites :
- L’impact climat net est aléatoire, en raison du caractère énergivore des installations. Le Haut Conseil pour le climat considère que l’efficacité du captage d’une tonne de CO2 varie entre 9% et 91%. Le bilan carbone de l’opération peut alors être totalement remis en cause si cette énergie ne provient pas de sources bas-carbone. Ce bilan peut aussi s’alourdir si le CO2 injecté dans le sous-sol est utilisé pour extraire des hydrocarbures qui émettront à leur tour de nouvelles émissions de GES, même si elles sont inférieurs. Enfin, des débats scientifiques existent quant aux fuites susceptibles d’intervenir lors de la phase de stockage.
- Pollutions aux solvants et augmentation des besoins en eau. La surconsommation en eau d’une installation sans ou avec CCS peut varier de 37% à 150%. Dès lors, des risques de fermeture périodique existent en cas de pénurie d’eau. Par ailleurs, la disponibilité de sites de stockage avec des coûts de transports abordables et décarbonés constitue un autre facteur limitant.
- Coût élevé qui dépend des principaux facteurs suivants : concentration des fumées en CO2; le prix de l’énergie ; le transport : en fonction des modes utilisés (pipelines, rail, route, mer) et de la distance à parcourir, les coûts peuvent grandement varier ; le stockage : il dépend des caractéristiques des sites.
Selon CIC Market Securities, le coût complet du CCS serait compris entre 60 et 150 € par tonne de CO2. Ce chiffre peut monter significativement en fonction des facteurs précédemment décrits. Le coût de la neutralité carbone par CCS peut être majeur. Prenons l’exemple du site de Fos, où ArcelorMittal a émis 6 446 000 tonnes de CO2 en 2022. En prenant un coût de la tonne de CCS à 100 €, le seul site de Fos verrait ses coûts d’exploitation augmenter de 64,5 M€.
CDR (Carbon Dioxide Removal)
- Description du processus : capter le carbone atmosphérique et le piéger dans les plantes (ex. : reboisement), les océans ou des puits de carbone « artificiels ». Par exemple, le captage direct dans l'air permet d'extraire le CO2 directement dans l'air. Une fois extrait, il peut être stocké sous terre ou converti en intrants pour les processus industriels. L’intérêt de cette technologie est de pouvoir diminuer le stock de carbone émis par le passé.
- Limites :
- Technologie récente : la concrétisation et le passage à la phase industrielle de ces technologies ne devraient pas intervenir avant longtemps.
- Consommation énergétique : la concentration de CO2 dans l’atmosphère étant extrêmement faible (0,042%), la consommation énergétique se révèle importante et les coûts associés aussi.
- Besoins en eau : pour la technologie Direct Air Capture (DAC), il faut compter 4 m3 d’eau par tonne de CO2 contre 1,71 m3 pour une centrale à charbon et 2,59 m3 pour une centrale à gaz en cycle combiné.
- Coût élevé : le reboisement coûte environ 50 dollars par tonne de carbone éliminée, tandis que le captage direct dans l'air est nettement plus onéreux (entre 350 et 550 $ par tonne).
En résumé, le déploiement à grande échelle des CDR est très incertain en raison des aléas technologiques, économiques et physiques.
CCS, CCUS et CDR : des impacts très limités à ce jour
- Aujourd’hui : fin 2023, la capacité mondiale de stockage du CO2 était de l’ordre de 49 Mt/an selon le Global CCS Institute, soit 0,1% des émissions anthropiques mondiales. Pire encore : dans 77% des cas, l’enfouissement du CO2 dans le sous-sol est utilisé pour pouvoir exploiter une plus grande quantité d’hydrocarbures… Si l’on ne prend en compte que les capacités dédiées au stockage géologique sans exploitation d’hydrocarbures, ce taux ne représente plus que 0,03% des émissions annuelles.
- Demain :
- Les perspectives montrent une amélioration. En prenant en compte les unités de CCS et DAC actuellement en construction ou prévues d’ici 2030, les capacités de stockage devraient augmenter de 67%, voire de 517% en intégrant l’ensemble des projets mondiaux (au développement avancé ou au stade préliminaire). Si ces projets se concrétisent, la part du CCS permettant d’exploiter de nouveaux hydrocarbures diminuera également fortement, passant de 77% actuellement à 20%. La technologie DAC, quant à elle, n’en est encore qu’à ses débuts. A l’heure actuelle, on ne capte que 4 000 tonnes de CO2 par an. Même en intégrant l’ensemble des projets de développement d’ici 2030, nous n’atteindrions que 1,5 Mt de CO2 par an.
- Cette amélioration demeure donc limitée par rapport aux enjeux. Même en prenant en compte les hypothèses les plus avantageuses de développement des sites en exploitation, en construction, à l’état de développement avancé, mais aussi à l’état de simple projet, nous n’atteindrons pas les exigences mises en avant dans le cadre du scénario Net Zero de l’AIE, notamment à horizon 2030. Si tous les projets voient le jour, nous accuserons en 2030 un déficit de capacité de stockage de CO2 de 80%. Et concernant les horizons de temps plus lointains que sont 2040 et 2050, les écarts sont encore plus importants.
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